LES CHRONIQUES DU QUERCY
par Guy Chassagnard
Ouvrage paru en 2018
420 pages - Aux Éditions Segnat
Diffusion : Amazon.fr
Prix TTC : 18,99 €
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L'OUVRAGE
JE NE SUIS PAS de Figeac. Je ne suis pas né dans l’une des étroites ruelles du Claux. Je n’ai pas grandi à l’ombre de Notre-Dame du Puy. Je n’ai pas usé mes culottes sur les bancs du collège Champollion. Je n’ai pas, non plus, conté fleurette dans les bosquets du Cingle ou de Lissac.
Je suis arrivé ici, avec ma valise et mon parapluie, à l’heure des bilans et des projets nouveaux ; quand on parle normalement de retraite, de jardinage et de parties de pêche. Par hasard, au détour d’une route qui ne semblait mener nulle part…
J’ai d’abord rencontré les pierres, avec leurs arcades cintrées, leurs modillons sculptés, leurs soleilhos à demi obturés. Sont venus ensuite les hommes (sans oublier les femmes) qui m’ont aimablement ouvert leur porte.
Ainsi, sans m’en rendre compte, je suis devenu Figeacois, et du même coup Quercynois.
Découvrant chaque jour le présent, il m’est apparu nécessaire, pour mieux connaître les hommes et mieux apprécier les pierres, de m’engager délibérément dans le passé de la ville, fait d’histoire pour les pierres et de vécu pour les hommes.
Voici la « chronique » des hommes et des femmes du Quercy telle que j’ai pu la découvrir et la tracer sur le papier, faite d’événements heureux ou malheureux, prévus ou inattendus, solennellement célébrés ou malencontreusement subis. J’espère que le lecteur aura plaisir à en prendre connaissance et à s’en souvenir.
(L'auteur)
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LES PREMIÈRES PAGES
Mais qu’est-ce donc que le Quercy ?
Le Quercy n’est pas une région ; il n’a jamais été une véritable province. De la région, il ne possède pas l’unité de relief ou de climat ; de la province il n’a jamais eu l’identité politique – même s’il a pu se prévaloir d’être, un temps, un grand département du Lot (1789 à 1808).
On peut, plus volontiers, parler à son propos de zone géographique de transition, enserrée entre le relief tourmenté du massif central et la large vallée de la Garonne, ou de pays si l’on entend qualifier cette étendue de plateaux et de forêts multipliant les sites et les monuments entre le Limousin et le Languedoc, entre l’Auvergne et l’Aquitaine.
On entre sans s’en apercevoir en Quercy ; on en sort toujours à regret, conservant intact en son cœur le souvenir des hommes et des choses.
Car le Quercy n’a pas besoin d’être mesuré ou défini territorialement pour exister. Où trouver ailleurs, en effet, ces causses dénudés, ces vallées encaissées, ces rivières fatiguées d’avoir trop creusé la pierre, ces vallées enfouies au plus profond de la nature ?
Où rencontrer ces gens courageux, calmes mais déterminés, qui consacrent à la vie toute la bonne humeur et tout l’art de vivre qu’ils ont en eux ? Où approcher encore l’histoire au quotidien avec tant de facilité et de simplicité.
En Quercy, bien-sûr !
Le Quercy, de tous les temps
Sans jamais chercher à se singulariser, à s’opposer à d’autres, proches ou lointains, faibles ou puissants, le Quercy peut s’enorgueillir d’avoir été et d’être encore de tous les temps. Préhistorique, il s’est doté de peintures et de gravures rupestres, ainsi que de multiples dolmens.
Antique, il a résisté vaillamment aux armées de César et défendu quelque temps l’indépendance gauloise.
Médiéval, il a multiplié les lieux de culte et de pèlerinage.
Renaissant, il a flirté avec le rigorisme protestant au point de s’attirer les foudres du pouvoir royal.
Républicain, il a toujours préféré la fraternité aux querelles politiques.
Ce qui n’a pas empêché ses habitants de connaître parfois la critique, voire l’opprobre. Ainsi, pouvait-on lire, au XIXe siècle, les lignes suivantes dans la Description pittoresque, topographique et statistique du Lot (1835), signée Abel Hugo :
« Les habitants des montagnes sont d’une constitution affaiblie par le climat et par une nourriture peu substantielle. Ils sont susceptibles, irritables, processifs, haineux.
« Les habitants des vallées, peu éclairés comme ceux de la montagne, sont également disposés à la crédulité.
« Mais ils ont moins de vivacité et d’intelligence, moins d’aptitude pour l’industrie et les arts mécaniques… »
Le Pays figeacois
Trois régions naturelles, chacune identifiable par sa roche, son relief et sa nature, s’en viennent converger et s’unir à l’est du Quercy, là où le hasard, sinon la destinée, a voulu que Figeac étende ses rues et ses maisons en une agglomération homogène.
Fait de marnes jurassiques où l’argile domine, le Limargue s’en vient du nord avec ses collines arrondies, ses grasses prairies, ses champs bordés de haies ou de peupliers.
On y cultive principalement le blé et le maïs.
Le Causse arrive de l’ouest sur un lit de terrains calcaires. Les paysages y sont arides et sauvages. Dans les champs bordés de murettes poussent volontiers la pierre et le chardon. Mais c’est ici que s’est le mieux développé l’habitat quercynois avec ses maisons traditionnelles munies de bolets et de pigeonniers.
A l’est s’étend le Ségala, constitué de terres cristallines. Ses plateaux montueux, creusés de gorges profondes, supportent en abondance les genêts, les bruyères et les châtaigniers. C’est dans le Ségala que se cultivaient jadis le seigle et le sarrasin, nourritures principales des paysans pauvres.
La rencontre de ces régions, que limitent au sud les deux vallées, fertiles et verdoyantes, du Célé et du Lot (la seconde constituant d’ailleurs une véritable frontière), a donné naissance à une terre de contraste et de singularité : le pays figeacois.
Celui-ci s’étend sur une demi-douzaine de cantons peuplés au total d’une quarantaine de milliers d’habitants dont Figeac, la ville, demeure le centre commercial et administratif. C’est en pays figeacois, en changeant mille fois de paysage, que l’on trouvera Cajarc, Livernon, Assier, Lacapelle- Marival, Latronquière, Cardaillac et autres lieux à visiter.
Caractéristiques climatiques principales de ce pays où, d’une façon générale, il fait bon vivre : la pluie est abondante, la neige rare, la gelée supportable. Le vent s’y fait souvent malicieux ; quant au brouillard, de nature paresseuse, il y est particulièrement lent à se dissiper.
Mais que chacun se rassure, s’il pleut plus de cent jours par an en pays figeacois, il y a bien plus de soleil ici (2 016 heures) qu’à Paris…
Figeac était, au début du XVIIIe siècle, une petite cité du Quercy, forte de près de mille feux (familles). Il s’y tenait annuellement dix-huit foires où se négociaient les serges de laine, les vins et les produits agricoles. Figeac était encore le siège d’une sénéchaussée.
Un duel en 1726 au bord du Célé
LE CINQUIÈME JOUR de novembre 1726, vers quatre heures de l’après-midi, fut trouvé dans le lit du Célé François Germain, natif de Villeneuve en Rouergue, servant en qualité de volontaire dans le régiment de cavalerie de Montrevel.
Relevé blessé à la poitrine, son épée hors du fourreau, le malheureux jeune homme fut transporté sur une charrette jusqu’à la maison de François du Cayron, seigneur de Mandens, son oncle, où il mourut bientôt, après s’être écrié :
« – Je suis mort ! Ah ! Le ventre !… »
Il appartint, dès lors, à Pierre de Palhasse, écuyer, conseiller du roi, lieutenant particulier, assesseur civil et criminel en la sénéchaussée de Figeac, de mener l’enquête, de toute évidence criminelle. Celui-ci fit venir auprès du mort un médecin et un chirurgien, l’un pour constater le décès, l’autre pour procéder à une autopsie.
Le sieur Pierre Lacaze, docteur en médecine de son état civil, certifia que le sieur François Germain était bien décédé et que son corps présentait une étroite et profonde blessure à la poitrine.
Ayant procédé à l’autopsie du cadavre, le sieur Antoine Beaulaguet, maître-chirurgien, constata, quant à lui, qu’une pointe (sans doute un carrelet), avait perforé le poumon, entraînant une hémorragie interne mortelle.
L’audition des témoins. - Débutant immédiatement son enquête, Pierre de Palhasse entreprit de faire l’audition de toutes les personnes pouvant apporter des précisions sur les conditions de la mort du sieur François Germain, honorablement connu en ville. Il s’en présenta plusieurs.
• Antoine Alric, dit La Bouteille, 20 ans, cordonnier, après avoir fait serment sur les Saints-Évangiles de dire la vérité, raconta que cheminant près de la rivière, il avait aperçu le sieur chevalier Antoine Viguier d’Auglanat, fils cadet du lieutenant principal en l’élection de Figeac, et un autre homme qui se tenaient l’un l’autre et tournaient comme si en badinant l’un avait voulu ôter quelque chose à l’autre.
Le déposant précisa encore qu’il avait vu des épées entre les corps des deux hommes. Il lui avait semblé que le chevalier d’Auglanat voulait ôter la sienne des mains de l’autre qui la lui tenait. Repassant plus tard au même endroit, le témoin avait aidé Antoine Debons à sortir un homme (celui qu’il avait précédemment aperçu) de la rivière, lequel avait dit en soupirant : « –Je suis mort ! ».
• Antoine Debons, dit Réganiac, 45 ans, qui travaillait à « tirer du sable» dans le lit du Célé au moment du drame, déclara qu’il avait vu un homme marcher comme s’il était ivre avant de tomber dans la rivière. L’homme avait fait quelques pas puis s’était écroulé sur le dos.
• Louise Lalardie, 20 ans, femme du meunier François Lacalm, déclara qu’elle avait vu passer le sieur d’Auglanat et un neveu du sieur du Cayron, qui marchaient pas à pas et allaient fort vite vers le pont du Gua. Le chevalier avait un bras sous celui de l’autre, ou au-dessus, et faisait des mouvements et des gestes avec l’autre bras comme font bien des gens en causant. Le témoin ajouta qu’il avait, plus tard, rencontré le sieur d’Auglanat qui fuyait.
• Catherine Daynac, 45 ans, épouse de Pierre Laprune, travailleur, déclara que montant vers le pont du Gua elle avait rencontré deux hommes à elle inconnus qui marchaient ensemble fort doucement, chacun une épée au côté. L’un d’eux avait pris du tabac sur la main de l’autre, ainsi qu’il avait semblé à la déposante, avant de se séparer.
S’étant éloigné, le témoin avait vu ensuite l’un des deux hommes, seul sur le chemin, faire quelques pas en chancelant avant de tomber à terre. Celui-ci s’était relevé, avait encore chancelé sur le bord de la rivière, dans laquelle il était finalement tombé.
• Guillaume Belnezé, 53 ans, procureur ès Cour Royale, déclara que se promenant il avait rencontré le chevalier d’Auglanat et le défunt Germain ayant chacun son épée au côté et marchant ensemble dans le chemin comme s’ils avaient promené, et ne paraissant point du tout émus ni avoir aucune dispute.
• François Cantaloube, 52 ans, voiturier, déclara qu’il avait vu La Bouteille et Reganiac soutenant un homme habillé d’un justaucorps couleur de café et d’une veste rouge, qui avait grand peine à marcher, qu’il avait pris pour un homme ivre.
• Bertrand Agrech, 20 ans, remplissant un office de valet précisa qu’il avait vu deux hommes qu’il ne connaissait pas, qui avaient chacun une épée nue à la main, et qui se donnaient quelques mouvements ; qu’un instant après, un de ces deux hommes ramassa son chapeau qui était à terre, le remit sur sa tête et fit quinze pas vers le pont du Gua ; qu’après cela, il rebroussa et s’en fut vers l’autre homme qui ne marchait pas ; enfin que tous deux partirent de là et marchèrent ensemble, à côté l’un de l’autre assez doucement.
Le déposant ne savait rien de plus…
Déposèrent encore Pierre Combes, travailleur ; Jean Gibrat, valet ; Anne Barbier, épouse de Jean Bau dit Clapou ; et surtout Marie Aymar, veuve de Jean Ganer, qui ayant croisé le sieur d’Auglanat, son épée sous le bras, lui avait dit « — Vous marchez bien vite ! ». « — Oui, un peu… » avait répondu le jeune homme.
La sentence. - L’audition des témoins du drame étant terminée, Pierre de Palhasse ne pouvait que conclure au « meurtre ». Noble Gilles de Palhasse, conseiller et avocat du roi, agissant en qualité de procureur du roi, ordonna donc, dès le 8 novembre, l’arrestation de Noble Antoine de Viguier d’Auglanat pour être conduit sous bonne et sûre garde dans les prisons de Figeac, ceci dans l’attente d’être ouï et interrogé sur les faits.
Il n’y eut, toutefois, point d’arrestation. Mais dans son jugement, rendu par contumace le 8 février 1827, la Chambre du Conseil de Figeac condamna Noble Antoine de Viguier d’Auglanat, auteur du meurtre, à avoir la tête tranchée par l’exécuteur de la Haute Justice, sur un échafaud qui sera dressé en la place haute de la ville, ce qui sera exécuté par effigie.
L’exécution eut bien lieu comme prévu ; ce fut un mannequin qui eut la tête tranchée… Quant au sieur d’Auglanat, en fuite, il semble avoir coulé des jours heureux. On le retrouve en effet, en 1741, lieutenant d’infanterieo; en 1752, chevalier de Saint-Louis ; en 1765, enfin comme témoin au mariage d’une nièce.
A la question : « — Pourquoi ce duel ? » les magistrats figeacois n’avaient pu apporter de réponse. Il n’a jamais été possible, depuis le procès, d’en trouver une.
On subodore une sombre affaire de famille et de paternité hors mariage impliquant une sœur du coupable…
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